vendredi 4 avril 2008

Presse ocean: Julien Gracq lègue ses manuscrits à la Bibliothèque nationale de Franc

Julien Gracq lègue ses manuscrits à la Bibliothèque nationale de France

L'écrivain Julien Gracq, décédé le 22 décembre à 97 ans, a légué l'ensemble de ses manuscrits à la Bibliothèque nationale de France. Il a également souhaité que sa propriété de Saint-Florent-le-Vieil devienne une résidence pour jeunes écrivains.
« Julien Gracq, dont la critique avait souligné l'éloignement par rapport aux publications contemporaines, a marqué en premier son intérêt pour les oeuvres à venir en léguant sa propriété de Saint-Florent-le-Vieil à une Résidence pour jeunes écrivains », ont écrit Bernhild Boie, l'exécuteur testamentaire, et Bertrand Fillaudeau des éditions José Corti dans un communiqué commun.

Nombreux manuscrits

L'ensemble des manuscrits de l'écrivain fait, par ailleurs, l'objet d'un don à la Bibliothèque nationale de France (BNF), le « droit de divulgation » étant confié à l'exécuteur testamentaire. Selon la BNF, le fonds comprend « les manuscrits de ses ouvrages publiés ainsi que les manuscrits inédits ou partiellement inédits en sa possession au moment de sa mort ».

La quasi-totalité des manuscrits autographes de ses grands romans y figurent « sous forme de dossier de travail et de mises au net corrigées ». Notamment Un beau ténébreux, la Littérature à l'estomac, le Rivage des Syrtes et un Balcon en forêt. Les très nombreuses pages de Notules de ses cahiers font également partie du legs.

Mythe littéraire

Julien Gracq a, par ailleurs, légué sa bibliothèque à la Bibliothèque municipale de Saint-Florent-le-Vieil et sa résidence parisienne à la Croix-Rouge française. Enfin, les traductions et travaux consacrés à l'auteur sont confiés à la Bibliothèque municipale d'Angers.

Les éditions José Corti demeurent éditrices de l'oeuvre de Julien Gracq. Une oeuvre nourrie de romantisme allemand, de fantastique et de surréalisme. Ce qui a fait de lui un mythe littéraire. En 1951, Julien Gracq avait d'ailleurs refusé le prix Goncourt pour le Rivage des Syrtes.

jeudi 3 avril 2008

Il testamento di Gracq

Le testament de Julien Gracq révélé

Bruno Racine eut hier la responsabilité de rendre compte du testament de Julien Gracq, mais l'étonnement ne vint que du public. « Je lègue les manuscrits de mes ouvrages publiés ainsi que mes manuscrits inédits ou partiellement inédits en ma possession au moment de ma mort [...] à la Bibliothèque nationale », écrit-il dans un document que s'est procuré Le Point.

Rien d'étonnement donc, car il semblerait que la BnF en avait formulé la demande quelques années plus tôt, et Julien, avec l'accord de Bernhild Boié, son éditrice, y avait consenti. On compte donc une vingtaine d'ouvrages, et même, selon la conservatrice en chef Marie-Odile Germain, « une ou deux œuvres dont on n'avait jamais entendu parler ».

Vision anticipant la numérisation de masse des documents aujourd'hui, une close du testament réclame que « la bibliothèque universitaire d'Angers, sur sa demande aura le droit d'obtenir une photocopie ou un microfilm des manuscrits de mes ouvrages publiés, et de ceux-là seulement ». Aujourd'hui, on parlera donc de livres électroniques...

En revanche, la série des cahiers Notules, de 3.500 pages environ est touchée par une clause de non-divulgation de 20 ans. Selon Marie-Odile, « on a du mal à imaginer que ce soit des textes autobiographiques, mais il pourrait s'agir de notes plus personnelles que ce qu'il avait l'habitude de publier. » Et pour ne pas frustrer le public, et qu'il « puisse voir l'écriture de Gracq, quelques pièces seront montrées dans l'une de nos expositions temporaires », ajoute-t-elle.

Entre autres legs, notons que sa résidence parisienne a été donnée à la Croix rouge, et que la bibliothèque personnelle de l'auteur ira à la Bibliothèque municipale de Saint-Florent.-le-Veil (Val-de-Marne). Julien Gracq est mort le 22 décembre 2007.

Rédigé par Cecile Mazin, le jeudi 03 avril 2008 à 07h41


http://www.actualitte.com/actualite/1634-Julien-Gracq-testament-BnF-manuscrits.htm

Une matinée avec Gracqjeudi 3 avril | 01:23 commentaire d'un article du point de ce jour.

Jo GatsbyUne matinée avec Gracqjeudi 3 avril | 01:23
Hommage littéraire. Tombeau de Louis Poirier, alias Julien Gracq, fin 2007 à Angers. Le sort aura été cruel avec le plus authentique des Florentais. Natif de Saint-Florent-le-Vieil, à deux encablures de Nantes, le premier des écrivains français à avoir été édité vivant dans la collection prestigieuse de La Pléïade est mort l'avant-veille de Noël dernier au CHU d'Angers, ville qu'il n'affectionnait pas particulièrement. Retour sur une visite en 1992, où se mêle le souvenir de ses obsèques angevines. Rencontrer Julien Gracq et revivre. Telle était l'expérience fabuleuse qui fut la mienne lorsque par un jour froid et ensoleillé de la fin janvier 1992, j'eus la chance de voir s'ouvrir devant moi la porte du plus mythique des auteurs français vivants, rue du Grenier à sel, à Saint-Florent-le-Vieil. Une seule couronne l'autre jour sur son cercueil, portée par un ministre des affaires étrangères d'hier, descendant d'illustres vendéens, avec la mention : «Hommage des florentais au plus illustre de leurs contemporains». Le Mont-Glonne en émoi. La traversée du grand pont sur la Loire qui précédait l'entrée dans le bourg de sa commune, les ruines du château de Gilles de Rais une fois laissées sur notre gauche à Champtocé, puis la Loire et ses brumes blanches traversées, restait un virage à gauche après ce pont équipé de haubans à l'ancienne ; puis encore une fois à droite pour entrer dans la rue du Grenier à sel, au nom prédestiné, comme tous les noms qui auront jalonné la vie de Louis Poirier. Jusqu'à celui de «l'Avenue des Poiriers» conduisant au crematorium de Montreuil-Juigné (Maine-et-Loire, au nord d'Angers), où une petite foule de fidèles et de rares élus ont veillé l'autre jour sur sa sépulture. Jusqu'au bout, le règne du vocable roi. Il habitait au n° 3 de la rue. Une clochette à tirer, deux courtes volées de marches en pierre à grimper et déjà, il ouvre sa porte. Sa maison, dès le perron, est une machine à remonter le temps, à sortir de la finitude. Il y règne une ambiance un peu ancienne, feutrée, calme, où l'araucaria cher au héros du Loup des Steppes d'Hermann Hesse aurait trouvé sa place sans peine, l'odeur de cire en moins. Salon... Gracq nous introduit alors assez vite dans un petit salon situé à gauche de l'entrée, où de brèves présentations eurent lieu. Il nous propose des sièges. Une photographe amie de l'écrivain et journaliste Jacques Boislève n'expliquera ce qui l'amenait alors à me suivre qu'après environ une heure et demie de discussion non stop autour de ses «Carnets du grand chemin», son dernier essai d'alors, publié peu de temps après par l'éditeur José Corti ; sa boutique a pignon sur rue donnant sur le jardin du Luxembourg à Paris ; lequel l'avait connu à ses débuts, chez qui Julien Gracq avait fait éditer son premier roman, «Le château d'Argol», en 1938. Corti l'a précédé dans la mort, mais la maison a envoyé son représentant pour l'adieu. Accueillant, prévenant, l'homme est tout à l'objet de notre visite, installé dans un fauteuil, près d'une table sur laquelle je peux poser de quoi écrire et l'ouvrage à la couverture rose passée, un peu comme celles des oeuvres poétiques latines qui auront fait souffrir des générations de potaches, mais dont le format plus épais et moins large donne d'emblée la sensation tactile d'une épaisseur, d'une ampleur sémantique, d'une qualité littéraire. Louis Poirier alias Julien Gracq m'offre alors le redoutable honneur d'engager la suite d'une conversation dont j'appréhende tout d'abord qu'elle n'ait tôt fait de le lasser, de lui sembler un peu superficielle, en dépit de tous mes efforts pour en garder la hauteur à un degré raisonnable d'intelligence et d'humanité, d'à propos littéraire et de sens, à partir des quelques remarques notées la veille sur la petite carte laissée entre les pages du livre par l'éditeur avec cette mention imprimée : «Hommage de l'auteur absent de Paris». Sa voix est plutôt agréable. Elle ne semble pas atteinte par le demi-siècle passé de littérature dont il fait état. Le soleil qui éclaire la partie droite de son visage austère et paisible, telle une figure hiératique du génie textuel incarné qu'il était déjà aux yeux de ses pareils, académiciens inclus, laisse entrevoir par moments un quasi amusement dans un regard un rien marqué par les cernes ; presque une sorte de jubilation intérieure, un reste d'enfance que des années de géographie, d'histoire, et surtout de commerce régulier avec les mots lui avaient peut-être appris à effacer, à peine montée à la surface, comme des bulles crevant une eau limpide mais un rien sombre. Non, il ne comprend pas pourquoi on s'intéresse à lui. Par deux ou trois fois, il emploie le mot «taciturne» en parlant d'autres écrivains qu'il a connu, autant de statues au Panthéon des lettres à nos yeux, mais ce «taciturne» là ne semble pas être pour lui quelque chose de péjoratif : ni un défaut, ni une qualité de ces présences-là, seulement ce par quoi il se souvenait d'eux, autour d'une table et d'un repas partagé. Il nous parle ainsi des Mauriac, Char, Breton, Eluard, Aragon, comme nous de nos voisins de rue, ou de palier. S'étonne d'entendre frapper à sa porte la presse littéraire moribonde d'une époque consumériste en faisant, un rien matois : «mais pourquoi viennent-ils me chercher jusqu'ici, n'ont-ils pas trouvé dans la jeune génération la relève qu'ils espèrent tous ?». Pas d'interview, non, un simple échange. Gracq ne veut pas d'une « interview » en bonne et due forme, avec questions et réponses comme autant de simulacres de mémoires défaillantes, et se fait un rien critique en évoquant ces renvoyeurs d'ascenseurs éditoriaux incapables d'écrire sur un livre sans pratiquer à outrance la citation «comme une faiblesse de la pensée, une incapacité à dire sa propre version du texte, trahissant ainsi une mécompréhension de l'oeuvre et une vraie paresse intellectuelle». Peu après, un certain Jérôme Garcin remplira deux pleines pages grand format d'une célèbre revue culturelle parisienne d'un interview de Gracq recomposé en questions-réponses, truffées de citations de son livre, façon prêtre intégriste du temps des lumières lisant à ses ouailles les «bons» extraits de l'ancien testament pour leur éviter de tenter d'en entendre la portée profonde ! Quelle trahison ! Quel lèse-Gracq ! En lisant, en écrivant, en parlant, en écoutant, Gracq troque l'esbroufe contre l'échange réel. Il nous parle de « l'ama » des écrivains du XIXe siècle, tout le XIXe siècle, les romantiques et les autres qu'il cite sans déplaisir, pour nous expliquer « l'idée d'un numen habitant l'écrivain dans la solitude et lui communiquant seule sa force de pénétration et son originalité ». La plus courte mention d'un thème relevé dans ses «Carnets» suffit à lui faire identifier le passage concerné, l'amenant aussitôt à développer, échafauder une démonstration sur son écriture, illustrer ce qu'il a décrit, avec une très grande justesse, sans jamais quitter d'un yota sa trajectoire imprimée, ni s'éloigner d'un poil de ses routes littéraires ou de ses perceptions paysagères truffées de découvertes de génie. Ainsi, lorsqu'il évoque le passage des toitures en ardoise à celles en tuiles, à l'endroit même où se situe la fracture tellurique entre le bassin parisien et le sous-sol plus malléable, calcaire, marbré, prévendéens des Mauges ligériennes, posé aux yeux du géographe et artiste comme une frontière géopoétique naturelle entre l'Anjou bleu républicain et les marches du choletais. Sans doute est-ce là un des points qui impressionnent le plus sûrement chez cet homme qui ne craint pas, tout en s'en excusant au regard des gens de ce métier, de devoir dire que Voltaire était pour lui une sorte «d'écrivain-journaliste», et que par ailleurs «la mortalité infantile, en littérature, demeure bien supérieure à celle qui touche tous les autres arts majeurs» ! Chose qu'il attribuait ce jour-là au «pantouflage» tout comme au caractère décidément peu lucratif de l'activité littéraire, dès lors que celui qui s'y adonne en attend une réelle «qualité», sans laquelle son exercice ira déraper vers d'autres genres plus malléables, souvent source d'une toute autre prospérité. Rouaud parlant de Lindon et de son amour du pouvoir. «Casanier»... Il se disait «casanier» malgré ces carnets de routes qui traversent une partie de l'Europe et des USA, malgré ces années d'enseignement tant en province qu'à Paris, et ces années lumière de fulgurances intellectuelles dans la traversée de la littérature européenne, passée, présente et en devenir qu'il n'avait de cesse de peser et de sous peser sans sectarisme aucun entre les genres et les auteurs, vénérant un Henri Beyle alias Stendhal comme d'autres alias Orsenna l'ont vénéré pour monter plus vite au firmament télévisuel mais ont boudé l'ultime hommage à sa dépouille : hormis Jean-Philippe Le Guillou, Pierre Mesnard, Jacques Boislève, Georges Cesbron, Joseph Raguin le journaliste et critique originaire du segréen, côté lettres, Pierre Brana le Girondin, Jean-Marc Ayrault le Nantais, Hervé de Charrette le Florentais côté politiques, une centaine d'anonymes tous eu ou prou fous de sa prose, fascinés par la beauté de ses romans, mais pas un seul élu angevin pour se recueillir sur son cercueil - municipales ou inculture oblige - en écoutant un peu de Wagner, quelques notes de Chopin, et la dernière lecture d'un passage du «Balcon en forêt» par la fille de sa filleule venue spécialement d'un pays encore plus lointain que «le rivage des Syrtes» pour cette dernière heure angevine avant les cendres. Il était couché là, entre les planches, invisible aux yeux, sensible au coeur. Hommage à l'auteur, absent pour toujours de Saint-Florent-le-Vieil. D'autres que lui ont vu le monde dans son entier. Lui, assurait-il modestement, ne l'avait pas fait. Il l’avait seulement écrit sous toutes les coutures, imaginaire compris, sans faute de frappe ni contresens. Christophe Journet Ses oeuvres Au château d’Argol, 1938
 Un beau ténébreux, 1945
 Liberté grande, 1947
 Le Roi pêcheur, 1948
 André Breton, quelques aspects de l’écrivain, 1948
 Le Rivage des Syrtes, 1951
 ( Prix Goncourt, qu’il refuse) Prose pour l’Étrangère, 1952, Penthésilée, 1954
 Un balcon en forêt, 1958
 Préférences, 1961
 Lettrines, 1967
 La Presqu’île, 1970
 Lettrines II, 1974
 Les Eaux Etroites, 1976
 En lisant en écrivant, 1980
 La Forme d’une ville, 1985
 Autour des sept collines, 1988
 Carnets du grand chemin, 1992
 Entretiens, 2002 www.jose-corti.fr/auteursfrancais/gracq.html
milol33Julien Gracqmercredi 2 avril | 19:03
Merveilleux Julien Gracq. Je regrette de ne pas être allé au moins une fois à sa rencontre, dans son petit village...

mardi 1 avril 2008

Jean Malaurie...à propos de Michel Le Bris et des étonnants voyageurs

Hommage à Michel Le Bris
Le plus grand mérite pour moi du festival de Saint-Malo, et de sa figure de proue, Michel Le Bris, est d’avoir non seulement rendu son honneur à l’idée de voyage, détournée de nos jours par la vague croissante du tourisme, mais aussi sa dignité perdue à la grande cité corsaire, qui s’était peu à peu réduite à n’être plus qu’une station vacancière et crêpière. Et ce, malgré Le Cheval d’Orgueil de Per Jakez Hélias, cabré en juillet 1975, en élevant le folklore breton de Bécassine à la hauteur d’une sociologie à part entière jusqu’alors réservée, en France, aux peuples exotiques, dits « primitifs ».
C’était l’époque où, convaincu que les termes TERRE et HUMAINE devaient être indissociables et que, selon le mot célèbre : « Ce qui compte dans le voyage, c’est le voyageur », je tentai de convaincre, pour écrire dans ma collection, les plus brillants anthropologues, sociologues, écrivains, de ne pas dire seulement JE en tant que spécialiste ou témoin, mais JE en tant qu’homme.
Rechercher à tout prix l’objectivité scientifique m’a toujours semblé en effet, de la part des savants-voyageurs, une tentative erronée, un faux-semblant voué à l’échec.
C’est une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité qu’outre un forum invitant à s’exprimer des universitaires - ethnologues, sociologues, géographes ou historiens - Terre Humaine devienne, livre après livre, une société ouverte d’hommes libres, accueillant au gré de l’inspiration et de l’histoire toutes sortes d’étonnants voyageurs, au sens où je l’entends, c’est à dire susceptibles de révéler au détour de leurs itinéraires de pensée, chacun à sa manière, son milieu spécifique, sa civilisation et sa culture. Aussi y rencontre-t-on des grands écrivains comme Zola et Ramuz, des explorateurs (Thesiger, Malaurie), des anthropologues philosophes (Lévi-Strauss, Descola, Bastide), des Indiens d’Amérique, une paria d’Inde, des paysans de France, de Hongrie, de Chine, un des derniers curés de la campagne française, des poètes (Segalen, Lacarrière), des intellectuels (Duvignaud, Balandier), des marginaux, des mafiosos, et jusqu’à un braqueur de banque - Claude Lucas - précisément de Saint-Malo, et qui, de sa prison, rêve, en 1999, de rejoindre en toute liberté sa nouvelle demeure de l’île d’Ouessant.
Quatre-vingts auteurs, camarades d’une bibliothèque des idées, devenue une famille de pensée. Auteurs solidaires, chaque livre s’épaulant l’un l’autre ; souvent, ils n’ont pas quitté leur province, leur village, leur tour d’ivoire, et même leur prison, bref leur propre vie, mais ils ont brassé leur sang à travers de redoutables contrées : les déserts extrêmes, mais aussi la misère, l’injustice, l’illétrisme ou l’anonymat.
Comme chaque printemps, à l’appel passionné de mon ami Michel Le Bris, dont le souffle celtique a toujours une dimension poétique, et avec lequel nous célébrons, à bord de la nef des Etonnants voyageurs, la dixième année de ce festival unique en France, je vais donc aborder à Saint-Malo ressuscitée, en compagnie de mes si chers camarades de collection. Je le pressens, certains d’entre eux qui ne sont plus, hélas, aujourd’hui, que des fantômes, nous observent avec un sourire bienveillant de l’au-delà. Mais c’est alors qu’il me semble tous les entendre s’écrier, en découvrant le Grand et le Petit Bé : « Terre ! Terre humaine… Enfin ! »
Jean Malaurie

Michel Chaillou ... Le cœur liquide de l’océan, contre son propre cœur…

Le cœur liquide de l’océan, contre son propre cœur…
Dès que le navire est parti, dès qu’il a franchi le goulet du port, on est dans l’aventure. Pourtant, prenez les journaux de bord des navigateurs : il ne s’y passe rien ils sont truffés de détails anodins, presque puérils. C’est une tasse qui tombe, à telle heure, à cause d’un coup de tabac… Il n’empêche : le moindre de ces faits devient passionnant, parce qu’il est porté par la surface menaçante de la mer. L’ordinaire est transfiguré, revigoré par l’écume. Et c’est bien cela, l’aventure : la confrontation entre un univers dangereux, hostile, qui peut se dresser à chaque instant contre la coque, et l’aspiration intérieure vers la tranquillité, la domestication. On recrée sa maison, mais au cœur d’un élément sauvage, dans une solitude crénelée de vagues. Sur l’océan, tous les dangers, toutes les aventures demeurent en attente. L’océan les retient captives. En prenant la mer, on dénoue les captivités de ces différentes aventures. Comme un cheval, qu’on libère de son écurie, qui vous entraîne et que l’on tente d’apprivoiser. Et puis, la solitude… En pleine mer, on voit l’étendue de son esprit, la surface de l’océan vous renvoie sans cesse l’image de vos pensées, le martèlement de votre pensée contre les parois de votre crâne, qui sont aussi celles de la cabine, du bateau. Je lisais qu’un navigateur, pendant la récente course autour du monde, avait été obligé de mettre en route un générateur, pour échapper au bruit de la mer. Je suis sûr que les marins entendent encore longtemps l’océan, quand ils sont revenus sur terre. C’est une caverne qui mugit à leur oreille… pas besoin, comme dans les histoires d’enfant, d’écouter un coquillage. Ils entendent le cœur liquide de l’océan, qui bat contre leur propre cœur, le halètement profond de la mer contre la pulsation du navire. Ils sont comme dans un monastère, mais ici le monastère est entouré d’un désert liquide. L’écriture ressemble à la navigation. Quand on commence un livre, on s’enferme dans une cabine. Il faut trouver une langue, qui est l’océan sur lequel on vogue. Tant qu’on n’a pas cette langue, il est impossible de partir, on est en cale sèche… Le bateau, ensuite, on le construit de ses propres mains, à l’aide des premiers mots qu’on emploie. Et puis on se calfeutre à l’intérieur de ces mots, avec des hublots pour voir à l’extérieur.
Michel Chaillou

lundi 31 mars 2008

JOSEPH VEBRET

Après Julien Gracq, Guy Dupré ?
PAR JOSEPH VEBRET (ÉCRIVAIN)
Après Gracq, qui reste-t-il de la même stature, d'identique exigence, ayant tout sacrifié à la littérature, sans concession ni compromis ? Trois noms viennent à l'esprit, trois noms quasi inconnus du grand public mais qui tissent depuis des décennies la toile d'une œuvre littéraire majeure, tant dans le contenu que par la démarche.

Pierre Michon et Michel Chaillou, tous deux lecteurs boulimiques, possèdent une connaissance encyclopédique de la chose écrite. Tous deux écrivent peu, publient peu, mais avec une exigence de qualité et d'aboutissement quasi maladive, le souci du vocabulaire, du mot qui fait sens, bref, du style. Tous deux ont cette humilité qui est la marque de fabrique des grands écrivains. Semblables, ils le sont également par le refus de s'exposer en pleine lumière, de parader sur les plateaux télévisés, et par leur souci de retravailler jusqu'au moindre détail la phrase, mais aussi la parole donnée et retranscrite en mots.

Du troisième écrivain, Guy Dupré, capital, salué par Breton, Mauriac, Gracq et Green dès son entrée dans la carrière des lettres, auteur de trois seuls romans avec lesquels il a imposé sa marque - mais quels romans ! il faut avoir lu Les fiancées sont froides pour comprendre définitivement ce que le mot littérature recouvre -, plus reconnu que connu. Marc Lambron dit de lui qu'il est « l'un des plus grands écrivains vivants et finalement, l'un des plus modernes qu'il soit donné de lire aujourd'hui ». La langue est mallarméenne, précise, étincelante ; la phrase construite, complète, solide ; l'inspiration à la hauteur de la force imaginative, les thèmes sacrés, barrésiens, l'Histoire, la femme, le pays, « feue » la France... Mais aussi la littérature, les écrivains, les incontournables, les fondateurs, au travers de textes critiques ou simplement évocateurs, mais qui ne penchent jamais vers la complaisance ou la facilité. Un auteur édifiant, au sens architectural du terme.

Tout aussi discret que Julien Gracq dont il fut proche, et parfois même critique, Guy Dupré a en horreur la confidence et le dévergondage du moi. En ces périodes de médiatisation forcenée où la sphère privée envahit le domaine public, où chacun se donne en spectacle sur écrans interposés, où chacun donne son avis sur tout, surtout s'il n'y est pas légitimement autorisé, Guy Dupré garde ses distances, en observateur attentif et avisé de l'Histoire en mouvement, et de son corollaire immédiat, l'actualité. Il y a du Thibaudet chez ce romancier - mémorialiste ? - octogénaire à l'exquise courtoisie, la curiosité, la bienveillance, mais aussi le goût de la littérature et de la politique, les deux qui s'entremêlent aussi parfois. Déjà, en 1986, dans la revue aujourd'hui disparue Matulu, Bruno de Cressole écrivait : « Par ces temps d'exhibitionnisme triomphal et de verbiage insignifiant, il est à l'image du Sphinx : secret, taciturne, ironique et péremptoire. » Et d'ajouter : « Au rebours de ces rosissantes de manège qui ont leur mangeoire attitrée dans les écuries de la rive gauche, saluons en Guy Dupré un animal de race qui ne court sous aucune casaque et seulement au gré de son plaisir ou de sa nécessité intérieure. Pourquoi écrire sinon, comme le murmurait Borges, "pour soi-même, pour ses amis et pour adoucir le cours du temps" ? » Et de conclure : « En une saison où les maîtres-penseurs ont tous passé l'arme à gauche, où nous n'avons pas eu à tuer nos "pères spirituels" car ils se sont très bien suicidés tout seuls, il est "cet ami qui est venu nous chercher" et nous a donné, comme disait Julien Gracq, "les clés qui ouvrent les chambres scellées de la mémoire où sont inscrites des images ineffaçables". »

Parce que Dupré est inclassable, iconoclaste ; il bouscule les genres, transcende les catégories, met le lecteur en devoir d'attention, l'oblige à faire l'effort de lire, et non survoler, réfléchir, explorer une prose luxuriante et lumineuse. Styliste hors pair, il entrouvre des portes, montre le chemin, pose des jalons, des balises ; au lecteur de s'aventurer et de trouver la sortie, en sachant qu'il ne sera pas le même à l'arrivée. Certes, au fil des pages et de la narration, soutenue par cette écriture somptueuse, on parvient parfois à déceler les inspirateurs, le souffle qui anime l'auteur, celui de Chateaubriand, de Barrès ou de Breton, mais aussi l'influence de Baudelaire, Bernanos, les romantiques allemands, jusqu'à Léon Bloy, Villiers de l'Isle Adam ou Julien Green, plus proche de nous.

Guy Dupré aime à prendre son temps. Il laissa s'écouler vingt-cinq années entre son premier et son deuxième roman, comme s'il avait voulu faire sienne cette affirmation de Gracq : « Toute grande œuvre est d'abord une mise au tombeau et sa formule au fond est toujours la formule de Goethe : meurs et deviens ! » Mais les thèmes sont récurrents, voire obsessionnels : le fidélité, la trahison, le temps de la mémoire - la mémoire affective contre le temps de l'Histoire -, l'Histoire invisible, l'héritage français, la filiation, naturelle et spirituelle, la séparation des sexes et la transmission de la paternité, la cruauté des hommes et la rédemption par la femme, le mariage d'Éros et Thanatos, bref... la comédie humaine sur fond de romantisme absolu, métaphysique, et de biographie d'une France en voie de disparition, mais qu'aucun mot ne « nihilise » jamais.

Il faut écouter Guy Dupré égrainer les souvenirs prégnants de ses chers disparus, l'austère Gracq, l'étrange Abellio, l'énigmatique Sunsiaré de Larcône, et tant d'autres, pour comprendre que l'époque est révolue, qu'une page se tourne, lentement, mais inexorablement.
« Si l'on a pas lu Guy Dupré, dit de lui Pol Vandromme, on doit s'interdire de répéter encore que le grand écrivain méconnu est un bobard romantique. »

GUY DUPRÉ, Je dis nous, La Table Ronde, 440 p.
Les trois romans de GUY DUPRÉ, Les fiancées sont froides, Le grand coucher, Les mamantes, ont été réédités en un seul volume (410 p.) par les éditions du Rocher en octobre 2006.
26/01/2008744 lectures SIGNALER UN CONTENU OFFENSANT

QUEL ÉTRANGE SILENCE…PAR HERVÉ LOUBOUTIN "Nouvel Ouest"

QUEL ÉTRANGE SILENCE…


Il vient de nous quitter. À 97 ans. Avec lui, disparaît une certaine idée de la littérature qui refusait toute concession à la facilité et à la médiocrité. Du Château d’Argol au Rivage des Syrtes et autres Lettrines, Julien Gracq a bâti une œuvre essentielle qui fait de lui le plus grand écrivain français du XXe siècle. Et, pourtant, tout bien pesé, quel étrange silence… PAR HERVÉ LOUBOUTIN




Je me souviens de ma première visite à Saint-Florent-le-Vieil en mai 1991. Ayant consacré une émission de radio (sur Alouette FM) à sa vie et à son œuvre (sous l’œil intéressé de sa sœur et d’une amie), Julien Gracq m’avait proposé de le rencontrer, chez lui, près de l’île batailleuse. Je savais les vi-sites initiatiques. Quasi religieuses. Le témoignage de Jean-René Huguenin qui avait été son élève était encore bien présent dans mes souvenirs. Mais la réalité dépassait ce jour-là toute fiction. Pour préparer cette visite, j’avais relu quasi toute son œuvre, avec un coupe-papier à la main (José Corti oblige !), ne possédant pas encore les deux somptueux volumes de La Pléiade, édités de son vivant.
Pour ne pas rater ce rendez-vous « historique », j’avais alors, comme beaucoup de ses invités, déjeuné seul à La Gabelle, en bord de Loire, au pied de sa maison. Avant de sonner à la lourde grille, le cœur serré, je savais que j’allais croiser une légende. Elle m’ouvrit la porte… Le choc fut brutal ! Au-delà des époques, des vies et des œuvres, j’avais vraiment l’impression de vivre un moment unique, un véritable privilège. Je songeais à Combourg et à Chateaubriand. Je revoyais l’appartement d’Hugo, place des Vosges à Paris. Bref, je savais que je poussais la porte d’un immense écrivain…
La visite fut extrêmement sympathique, Julien Gracq qui avait écouté l’émission, cherchant à savoir les raisons pour lesquelles on lui avait consacré deux heures entières, un dimanche, sur une radio « libre » qui émergeait encore à peine des ondes régionales enfin libérées…
Le petit salon en entrant, à gauche, avec son fauteuil de cuir tanné par les ans, et le rituel gracquien (porto ou thé au caramel) servi par sa sœur toujours souriante et amicale.
Cette rencontre printanière fut la première mais pas la dernière. À de nombreuses reprises, j’eus la chance merveilleuse de revenir à Saint-Florent, seul ou accompagné d’amis, avec lesquels nous déjeunions à La Gabelle en présence de l’auteur des Eaux étroites qui appréciait toujours ces rencontres aussi cadrées qu’une visitediplomatique. À ces rendez-vous des bords de Loire, souvent partagés avec Sacha Bauquin, Catherine Decours, Jean-Yves Paumier, Robert de Goulaine (mes amis de l’Académie de Bretagne) se greffèrent ceux d’écrivains de renom qui voulaient ren-contrer le « grand écrivain » comme ce fut le cas avec Jean Bothorel, avec Patrick Poivre d’Arvor ou avec Érik Orsenna…
Ce dernier qui choisit pour nom d’au-teur, Orsenna, la capitale du Rivage des Syrtes rencontrait pour la première fois son auteur. Un moment inoubliable bordé par une ferveur littéraire re d’altitude ! La forme d’une ville… Ancien élève du lycée Clemenceau de Nan-tes, Julien Gracq a consacré à l’ancienne cité des Ducs de Bretagne un livre unique : La forme d’une ville. Un ouvrage qui scelle un pacte éternel entre un grand écrivain et une ville qui ne l’est pas moins ! PPDA devant la maison de l’auteur. Julien Gracq ouvre lui-même sa grille, avant de faire salon…
C’est pourquoi, Jean-Marc Ayrault, le député-maire de Nantes a eu raison de l’accompagner lors du dernier adieu ! Comme Hervé de Charette, le maire de Saint-Florent, qui le croisait souvent. Fidèle à la Loire, son grand voilier vernien et à la Bretagne, son belvédère arthurien, Louis Poirier compagnon de Julien Sorel et des Gracques de la Rome antique vient d’appareiller. « J’espère mourir vite, écrivait-il dans Lettrines 2, dès que les chemins de la terre ne me seront plus ouverts »…
Le grand chemin qui mène au bonheur n’avait pour lui aucune limite… Au-delà de l’homme qui avait deux visages (celui du professeur introverti et du poète lumineux), Julien Gracq aura imposé un style et une manière de vivre la littérature et la culture, à contre-courant de notre époque et de nos mœurs. Tant mieux si certains libraires redécouvrent aujourd’hui ses livres (en piles désormais à l’entrée!), la lecture de son œuvre est un enrichissement permanent. Commencez, par Argol, superbe et envoûtant…■