samedi 11 octobre 2008

Le Clezio sur Julien Gracq..dans la Voix du Nord

Une cinquantaine de livres en 45 ans d'écriture

vendredi 10.10.2008, 05:01 - La Voix du Nord

Grand voyageur et romancier de l'errance, JMG Le Clézio est l'auteur d'une cinquantaine de livres, portés par une grande humanité.

Son oeuvre, qui comprend des contes, des romans, des essais, des nouvelles, des traductions de mythologie indienne, des livres de photos, d'innombrables préfaces, articles et contributions à des ouvrages collectifs, est perçue comme une critique de l'Occident matérialiste, sous tendue par une attention constante aux faibles et aux exclus.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, qui fait partie aujourd'hui du jury Renaudot, a démarré sa carrière littéraire en fanfare : à 23 ans, il publie Le procès-verbal en 1963 qui lui vaut illico le succès et le prix... Renaudot.

S'ensuivent entre autres La Fièvre, L'Extase matérielle, Terra amata, Le Livre des fuites, La Guerre, Les Géants, Désert (peut-être son chef-d'oeuvre), Le Chercheur d'or, Voyage à Rodrigues, Onitsha, Étoile errante, La Quarantaine, Diego et Frida, Le Poisson d'or, Révolutions , Ourania, L'Africain (l'histoire du père de l'écrivain), Ballaciner et, en 2008 enfin, le petit dernier : Ritournelle de la faim (parus chez Gallimard pour l'essentiel).

Un sondage, paru dans la revue française Lire en 1994, le désignait comme « le plus grand écrivain de langue française » devant Julien Green. Honnête, il avait répondu : « Moi, j'aurais mis Julien Gracq en tête . » À son image, toujours prompt à remettre en question les fondements de la littérature traditionnelle. Si loin du superficiel. Ce qui lui fit dire : « J'ai le sentiment d'être une petite chose sur cette planète et la littérature me sert à m'exprimer. Si je me hasardais à philosopher, on dirait que je suis un pauvre rousseauiste qui n'a rien compris. » •

jeudi 9 octobre 2008

Gracq, adjugé, vendu ! par Pierre Assouline-blog

01 octobre 2008
Gracq, adjugé, vendu !

Etrange sensation : on apprend régulièrement que des correspondances d’écrivains vont être mises au feu des enchères sans que cela nous émeuve outre mesure ; mais de savoir que celle de Julien Gracq va l’être à son tour, cela fait quelque chose. Peut-être parce qu’il fut notre contemporain, que nous l’avons un peu côtoyé, que nous lui avons un peu écrit. Non qu’il y ait de terribles révélations à en attendre, encore que le don d’une partie de sa bibliothèque à celle de son village ait provoqué quelque émoi chez certains, ce qui se comprenait lorsqu’on songe à la haute flagornerie avec laquelle ceux-ci dédicaçaient leurs oeuvres adressées au maître retranché en sa thébaïde du Maine-et-Loire.

En tout cas, on lira avec curiosité le catalogue que ne manquera pas d’éditer l’hôtel des ventes Couton-Veyrac pour la dispersion que ses commissaires-priseurs organiseront le 12 novembre prochain à 14h rue Miséricorde à Nantes. Des lettres (José Corti, André Breton, René Char, Man Ray, Jean-Louis Barrault etc), mais aussi des éditions bibliophiliques (Rimbaud, Cocteau, Colette, Jünger, Henri Quefellec, Mandiargues, Régis Debray, Erik Orsenna) contenant souvent des envois dignes d’intérêt (ainsi Le surréalisme et la peinture :”A Julien Gracq, Au voyant, André Breton”), de rares portraits de lui par Robert Doisneau notamment, des dessins, des lithographies ainsi que ses meubles. Ceux qu’il avait achetés pour son appartement parisien de la rue de Grenelle (XVème), et ceux qu’il avait hérités de sa famille dans la maison où il vivait avec sa soeur, rue du Grenier-à-sel à Saint-Florent-le-Viel. Encore ne s’agit-il là que d’une infime partie des biens tant artistiques que littéraires dépendant de cette succession.

Par un document de trois feuillets intitulé “Ceci est mon testament”, Louis Poirier, ainsi qu’il l’a signé (la mention “En littérature Julien Gracq” a été rajoutée) avait légué ses manuscrits autographes, ses inédits et ses carnets de notes à la Bnf, et confié le droit moral et la divulgation à Bernhild Boie, professeur émérite de littérature germanique à l’université de Tours et éditrice de son oeuvre dans la Pléiade.

Gracq cachotier ? François Dufay dans l'Express

Moins d'un an après sa mort, les langues se délient. Un nouveau visage du grand écrivain émerge, moins «coincé», mais tout aussi fascinant.

Du vivant de Julien Gracq, l'écrivain Pierre Michon - est-ce orgueil ou timidité? - n'avait jamais osé frapper à la porte de sa demeure. Moins d'un an après sa mort, à l'âge de 97 ans, c'est pourtant lui qui a pris l'initiative du bel hommage rendu à l'auteur du Rivage des Syrtes l'autre semaine, à Guéret, lors des Rencontres de Chaminadour, organisées par Hugues Bachelot. Un colloque tout sauf guindé, d'où la statue du commandeur des lettres françaises est paradoxalement sortie rajeunie, dégagée de la gangue de révérence qui l'enserrait.

Universitaires, écrivains ou confidents se sont en effet «lâchés», brossant un portrait non conformiste de cette icône des classes de khâgne. Car Julien Gracq (né Louis Poirier) n'était pas seulement un petit monsieur en pardessus et cache-nez marchant dans les labours glacés des Mauges: il fut aussi, comme l'a souligné Pierre Michon, ce drôle de dandy à casquette blanche, la clope au bec, surpris un jour par l'objectif du photographe Lartigue... «Juju», nourri au lait des provocations surréalistes et à la logomachie du PCF, aurait-il réprimé un petit côté voyou? N'exagérons rien. Mais, assurément, il se montra plus fin stratège qu'on ne l'imagine. Après avoir bénéficié de l'adoubement d'André Breton, cet avisé Angevin sut fasciner par son dédain du microcosme et son enterrement volontaire dans son «cul-de-basse-fosse» provincial. Ce qui lui valut le sobriquet cruel, décerné par Jean-Edern Hallier, de «Mistinguett de la solitude».

Le sage ne fut pas un célibataire endurci
Ecrivain du «moi», l'ermite de Saint-Florent-le-Vieil n'était certes pas du genre à s'épancher. Encore moins à étaler «la vie sexuelle de Julien G.». Il s'est cependant plus dévoilé qu'on a pu le croire. A entendre les spécialistes réunis à Guéret, son écriture, d'une netteté implacable, n'est pas exempte d'un érotisme latent, diffus, crypté. Nul besoin d'être psychanalyste pour ressentir la charge sexuelle de ses paysages - ainsi «l'Evre» aux «eaux étroites», remontée avec délices jusqu'à sa source... Contrairement à sa réputation, le sage retraité de l'Education nationale - fier d'avoir usé quatre 2 CV dans son existence - ne fut d'ailleurs pas un célibataire endurci. On ignore qui fut l' «étrangère» célébrée dans l'une de ses proses énigmatiques. On en sait un peu plus sur la très surréalisante Nora Mitrani, sa compagne dans les années 1950. On peut reconnaître les traits de cette belle brune dans les lithographies pornographiques signées de Hans Bellmer, dont elle partagea aussi la vie!

Ultime présence féminine auprès du grand écrivain, non plus muse mais gardienne du temple: Bernhild Boie, une chercheuse allemande, qui a établi l'édition de ses oeuvres dans la Pléiade et dont il a fait son exécutrice testamentaire. Car l'auteur des Lettrines a laissé des milliers de pages inédites, déposées à la BNF le 16 de ce mois. Ces textes, sous embargo, il faudra attendre en principe l'an 2028 pour les lire. Pierre Michon s'en pourlèche déjà les babines: «Je ne serais pas surpris, glisse l'auteur de La Grande Beune, qu'on y trouve des vacheries sur ses contemporains. Et même des textes érotiques...»

mardi 7 octobre 2008

il y a musique chez Gracq, là où il n'y a que mots atones chez les autres De Christian Calbour, lecteur de Nantes.

L'évidence, la proximité de « La forme d'une ville » de Gracq - Nantes
mercredi 09 janvier 2008 « [...] il y a musique chez Gracq, là où il n'y a que mots atones chez les autres

De Christian Calbour, lecteur de Nantes.

« Rien ne me prédisposait à l'évocation de Julien Gracq. Certes, j'avais lu précocement « Le rivage des Syrtes » après l'avoir, page après page, découpé d'un index fébrile. Mais, depuis cette époque, je n'avais plus parcouru d'opuscule de cet harmoniste de la langue : il y a musique chez Gracq là où il n'y a que mots atones chez les autres. L'écrit sans intonations, sans parfums, sans voix, sans gestes, sans creux et sans reliefs ne dessine qu'un paysage plan, morne, dénaturé, inanimé...

« Ma rencontre imprévisible, en octobre 2007, avec Hubert Fruchaud, lors de l'Exposition d'une quarantaine de ses tableaux représentant Nantes au début du XX e siècle, initia notre connivence. La concordance de notre perception de la ville, avant qu'elle se métamorphose - érodée et défigurée par la main de l'homme - en une banale mégapole désenchantée, unit nos savoir-faire à la recherche d'un temps perdu.

« Pour nous, il n'était rien de plus étrange que de se percevoir étranger dans notre propre ville... qu'elle soit natale ou d'adoption ! Ce malaise diffus, que nous partagions avec tant d'autres, fut à l'origine d'un livre : « Au bonheur de Nantes ».

« Cet ouvrage que nous venons tout juste d'achever, relate les déambulations de deux flâneurs à l'écoute de leur cité qui bavarde sans cesse mille discours dans leurs oreilles et mille images dans leur regard, afin qu'ils recréent son tissage subtil d'îles et de terres, d'eaux courantes et de ciels aux couleurs fortes, de façades enluminées ou modestes, d'héroïsme ou d'humilité... Il concrétise la rencontre entre un pinceau et une plume, outils devenus consanguins pour transcrire dans un même geste la vision d'une ville qui inspire tant de nos actions et de nos émotions. [...]

« Lors de l'écriture des textes d'« Au bonheur de Nantes », j'utilisais quelques bribes de Gracq sous forme de citations extraites de « La forme d'une ville » et recueillies au gré de mes lectures sur Nantes. [...] J'appelai les Editions José-Corti pour leur demander l'autorisation de citer Julien Gracq. Enhardi par la convivialité de mon interlocuteur, j'osai m'enquérir de la possibilité de transmettre notre texte à l'auteur qui, s'il le désirait, pourrait rédiger une préface. On m'indiqua que Julien Gracq, lisant difficilement et les mains déformées par l'arthrose, ne répondait plus aux diverses sollicitations dont il était l'objet.

« Au bonheur de Nantes » architecturé et rédigé, je me procurai enfin « La forme d'une ville », dont je tranchai maladroitement les hauts et les bords de page afin de découvrir l'intégralité du périple gracquien dans Nantes, unique cité qu'il éleva au rang de mythe formateur de sa personne. (...)

« Le vendredi 21 décembre, je débutai la lecture jubilatoire de « La forme d'une ville » dont l'évidence, l'actualité, la proximité étaient telles qu'il m'apparut comme indispensable que nos édiles (NDLR) et les nouveaux Nantais s'en dotassent pour ne plus massacrer notre ville.

« Le samedi 22 décembre, Julien Gracq, empruntant le Grand Chemin, accomplissait discrètement son ultime promenade parmi les vivants.

« Ces quelques lignes, hors de toute exégèse, témoignent de nos retrouvailles inattendues avec sa mémoire nantaise fidèle à sa Ville, compagne de ses déambulations et de ses rêveries déconstruisant l'espace-temps commun pour le reconstruire selon une poétique à nulle autre pareille. Elles expriment notre instinctuelle allégeance à ce coeur imprégné de notre campagne urbaine, celle qui le fit sensuel et charnel sur les chemins de l'écriture. (...) »

NDLR : Jean-Marc Ayrault maire de Nantes a dans son bureau, plusieurs exemplaires de la « Forme d'une ville » et en offre régulièrement à ses visiteurs au nom de la ville de Nantes.

Gracq était toujours là, comme une déclaration de joie sévère : pensez que du haut de ce rayon, la littérature française vous contemple !

Jean Rome était ce libraire de la rue des Gras à Clermont-Ferrand, qui expliquait aux touristes que la cathédrale, située à tomber sur sa porte, est noire non pas par oubli, mais parce qu’elle est en pierre de Volvic.
Dans les quelques mètres carrés de Jean, on entendait les livres se plaindre qu’ils ne fussent pas assez lus. On trouvait Jean le plus souvent assis, écoutant France Culture, caché derrière les piles des nouveautés, griffonnant au crayon noir un cahier bombé de notes.
Un désir de vous dire combien on pouvait se sentir bien dans son faux désordre me pique. En entrant, on levait l’oeil vers la gauche. Gracq était toujours là, comme une déclaration de joie sévère : pensez que du haut de ce rayon, la littérature française vous contemple ! Les oeuvres de Michon et de Bergounioux se tenaient dans son dos. Durant leur période clermontoise, Michel Foucault et Michel Serres fréquentaient l’endroit. Jean restera aussi le libraire de Ma Nuit chez Maud. Certes, le plan dure une seconde, mais un plan d’une seconde quand il est d’Éric Rohmer*…
Avec Jean comme avec B***l, nous parlions souvent et longtemps. Avec Jean, c’était sous les ampoules pâles, à l’heure où la rue des Gras en pente avait déjà fermé ses boutiques. Hommes du soir.
Jean s’interrogeait sur la jouissance de mes mouvements vers la Catalogne. Il m’interrogeait tellement sur mon entre-deux que je me demandais s’il lui paraissait étrange ou exotique. Lui ne s’éloignait pas de son biotope d’herbe, de vent et de chemins, l’Auvergne plus le Massif central. Toutes ces années, il semblait accepter que les livres se vendent moins, mais j’en doutais.
. Jean ne me tendra pas ma commande récente et je ne répondrai pas à son insistance, la dernière fois que nous nous sommes vus, à déjeuner.

* Extrait de Ma Nuit chez Maud dans Six Contes moraux (Éric Rohmer, coll. Ramsay poche cinéma, L’Herne, Paris, 1974) : « Un jour, dans une librairie où je cherchais des ouvrages sur le calcul des probabilités, j’ai jeté un coup d’oeil sur le rayon des livres de poche et j’ai acheté les Pensées de Pascal. (…) »
La maison natale de Pascal, aujourd’hui détruite, occupait un emplacement contigu au bâtiment où se trouve la librairie de Jean, créée en 1962, à la place de la boutique de dentelles de la mère de Jean. J’aime penser au triangle Rohmer, Rome, Pascal…

Extraits du blog "Trottoirs de Barcelone"